Thursday, December 14, 2006



Bento d'Espinoza :
le Rembrandt de la Philosophie




1632-1677

En quoi la France et Benoît d'Epine dit Baruch (béni) Spinoza sont-ils liés ?
...Par Renate Des Cartes.
Lorsque l'adolescent Bénédictus tombe sur les écrits quasi-clandestins du philosophe français, celui-ci connait la révélation : voici donc comment il faudra désormais discourir sur les choses de l'esprit - clarté conceptuelle, raison rigoureuse menée à terme, probité intellectuelle. Il fait sien ces idées et écrit pour bien faire à 31 ans un ouvrage d'introduction aux "Principes philosophiques de René Descartes" (zoom à gauche). Spinoza sera l'héritier et continuateur en théodicée du penseur tourangeau révolutionnaire...

Chacun connait l'épisode du ban, proclamé avec toute la pompe rituélique contre cet élève billant de l'école du Talmud Thora d'Amsterdam, archi-doué mais tête de mule, adepte des "théories nouvelles et hérétiques", un rebelle, gravement remonté contre l'hypocrisie de son temps, de tous les temps. Il a 24 ans.
Voici les termes de ce herem, le mot hébreux pour excommunication (zoom à droite) :
"La Communauté te maudit jour et nuit ; elle appelle la haine de Dieu sur ta personne et sur ton nom pour l'éternité ; que toutes les malédictions contenues dans la Loi te soient infligées ; que ton nom disparaisse à jamais ; que personne n'ait aucune relation privée et professionnelle avec toi ; que personne ne partage ton toit ; que personne ne t'approche à moins de deux mètres" etc. etc.
Un homme qui suscite un tel tollé d'indignation ne peut pas nous laisser indifférent... Spinoza : épine... épine dorsale... fermeté... debout jusqu'au bout... l'épine, n'est-elle pas aussi un symbole vertical, une illustration de l'axe du monde ?
Spinoza nait la même année que Vermeer

Bien que ce soit un garçon composé du même matériau qui fait briller les étoiles, sa constitution est faible et toute sa vie il doit lutter contre les désagréments que lui cause son corps. Sa tête est supérieurement bien faite, il sait, merci, mais il est rebelle, à la recherche de la joie de vivre... perdue sous le ban... qui l'a brisé... O, extérieurement il rit oui, mais intérieurement il saigne... la nuit ses rêves sont noirs... son peuple lui manque malgré tout.

Lucide, dans une société humaine exclusivement tournée vers le gain, où Dieu sert de couverture idéologique, non, il n'est pas dupe, on ne la lui fait pas, il n'est pas un benêt. Quelque chose de cruel est en lui aussi : il aime jeter des mouches aux araignées et à observer la lutte de la mort.
zoom sur le beguinage "Saint Esprit" à La Haye, construit en 1618

Spinoza tient la religion de son temps un opium pour le vulgaire. Le vulgaire se figure mener une existence libre là où il est la victime de ses propres passions, offrant le spectacle d'un pantin, d'autant plus passionné par sa liberté illusoire que son mental d'esclave est vidé donc servile. Cet abandon de soi mène à la mort. Ce fatal désir d'esclavage inconscient est attentatoire à la grandeur divine et humaine. Spinoza avertit ses contemporains : ne réduisez pas l'éternel à vos petites conceptions anthropomorphiques, frelatées par vos ladres désirs refoulés ô combien trop mondains. Le sage, lui, il se connait, il sait, celui qui se connait connait son Dieu, il calque sa conduite selon les lois immuables de l'éternel, il s'est libéré du joug de l'auto-illusion. Alors seulement il pourra développer ses liens avec l'éternité, selon son libre esprit et arriver à la parfaite joie de vivre. Spinoza vit selon ses propres mots "dans la quiétude, la joie et la gaieté".

L'homme véritable, le Tchen-Yen, homme éclairé dans un monde sans plus de divin, l'homme authentique sera celui qui porte ce pourquoi il est né à la plénitude, dans la ferveur intime et le calme intérieur. L'éthique n'est pas la morale, l'éthique est la réalisation de soi. Vous dites que le diable est tout autour ? Soit. Retournez en vous-même, retournez-vous en vous-même, cherchez votre silence, le trésor est là. Dix millions de soleils brillent en vous ! Fermez la porte, tirez les velours, allumez quelques bougies, ouvrez votre écritoire, mordez dans une pomme... faites l'amour... Évadez-vous vers votre esprit qui veille sur vous et qui se reflète dans le lustre, dans les clous en cuivre du fauteuil, dans le cristal du bocal et les brocarts chamarrés, dans les transparences éburnéennes, dans le rire des enfants qu'on entend.



L'influence de Spinoza ? Leibniz, Lessing, Novalis, Goethe, Fichte, Schelling, Hegel, Marx, Nietzsche, Freud, Bergson, Weil, Lacan et Deleuze, qui le tenait pour le "Prince, le Christ des philosophes". Ce qui les attire : cette notion de réalisation de soi, en dehors du périmètre des églises, dont il a donné, le premier, un émouvant exemple.
D'accord, son panthéisme est intenable, ses idées politiques dépassées, sa critique de la Bible mesquine et cruelle - mais reste son appel radical au mérite de l'homme et à sa virtu sacrée. Aucun autre penseur n'a pénétré aussi loin, con amore, le mystère divin ; pourtant il passe pour être un athée. A côté de lui Descartes fait figure de mécanicien de garage... Un philosophe français a dit : "tout philosophe a deux philosophies : la sienne et celle de Spinoza parce que nous avons l'impression nette que telle est exactement l'altitude où la philosophie doit se placer, telle est l'atmosphère où réellement le philosophe respire".
Sa chambre à La Haye
Oncoba spinoza, Afrique du Sud

Spinoza flower, Afrique du Sud

Louis XIV lui fait demander par la bouche du prince de Condé alors gouverneur d'Utrecht, de lui dédier un ouvrage, contre une bourse bien garnie, ce que Spinoza, avec un sourire, refuse, trop épris de son indépendance jalousement préservée à travers les vicissitudes de son existence. Dans un monde désenchanté, inhumain, de moins en moins libre car exclusivement tourné vers le gain, monde devenu épicier, petit, prévisible, calculable, rationnel, respectable ô trop respectable pour lui, il s'éteint à 45 ans de tuberculose due aux poussières dégagées par le polissage des lentilles de télescopes pour Christiaan Huyghens et de microscopes pour Anthonie van Leeuwenhoek, son gagne-pain, métier spécial, pointu, appris chez ses coreligionnaires à Amsterdam, parallèlement à sa formation de rabbin, car Gamaliël avait dit : "tout savant qui ignore un métier finit coquin, canaille ou brigand".

Ses livres ne seront publiés qu'après son dernier soupir, par des amis fidèles. Apparaît aussi son premier biographe. Depuis, que nous le voulions ou pas, nous sommes tous des spinozistes... en quête d'une pensée qui permette "pour l'éternité la jouissance d'une joie suprême incessante".


Zoom sur la maison et sa chambre à Rijnsburg ("Bourg du Rhin")


Le sceau de Spinoza, une rose sauvage avec cinq épines ; "caute" veut dire "prudence, danger, gratte-cul" ; les trois majuscules B.D.E. : Bento D'Espinoza ; il s'agit de la Rosa canina, l'églantier ou gratte-cul (sic).
L'églantine encourage depuis des temps immémoriaux l'ouverture à soi et aux autres, aide les enfants à grandir et possède de réelles virtues cicatrisantes ; la floraison de cet arbuste exprime l'ardeur sans cesse renouvelée. Surtout ne jamais oublier que toutes les roses du monde lui doivent leur existence...
MN
Eglantier ou Rose sauvage commune
dite "gratte-cul"

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