Saturday, November 25, 2006

Re-né D'escartes en Hollande

Le monde entier est cartésien, adepte de "l'amour de la clarté, rationalité de la méthode, solidité de la logique" - qui oserait le nier? Le lion a rugi, qui ne tremblerait ? Après l'effondrement de la pensée métaphysique médiévale, c'est ce drôle de Français chafouin qui remet le moteur intellectuel d'Europe en panne en marche... A tort ou à raison, c'est lui qui réussit à relancer le mouvement de la pensée alors bloquée, et depuis l'avènement de sa logique, depuis la victoire sur tous les fronts de sa "méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité" * nous baignons, encore aujourd'hui, toujours aussi totalement dans le triomphe de ses idées (...plus pour longtemps).

La Bruyère dit de Descartes qu'il est "né Français, mort en Suède" - on devrait rajouter "après avoir longtemps vécu en Hollande heureux comme Dieu en France", à Egmond par exemple, village au nord des Pays-Bas tout au bord de la mer du Nord, célèbre pour son abbaye (trappiste, toujours active) et par une certaine ouverture de Ludwig von B.
Village pittoresque situé à l'orée d'un désert de dunes, quelque part entre mer, mouettes et ciel.
Dans son lit, certaines nuits d'été, fenêtres grand ouverts, le penseur tourangeau auto-exilé mangeur d'ail écoute chuchoter l'océan. Sa demeure, une belle ferme carrée avec un impressionnant toit pyramidal en chaume, se trouve un peu à l'écart du village, lovée contre les premières dunes, à un carrefour qui mène vers la Seigneurie de Bergen.

Cette maison s'y trouve d'ailleurs toujours. L'endroit porte un nom topographique révélateur : "De Franschman", "Le François" épelé à l'ancienne, en souvenir sûrement du grand penseur révolutionnaire. "Le François", qui baragouine bien quelques mots de hollandais, y vit avec une jeune néerlandaise, Heleentje-Janneke, une belle blonde de Deventer qui n'a pas froid aux yeux et a tout quitté pour suivre son étrange étranger. Elle lui donnera Francinette **, née en 1635. (1635 : Rembrandt épouse Saskia, Vermeer a trois ans, Frans Hals fera le portrait de René quelques années plus tard ; en France l'ordre de Richelieu règne, création de l'Académie française, la France entre dans la Guerre de Trente Ans, Bossuet prononce son Discours sur l'histoire universelle, Monsieur entre en France les armes à la main, ...la routine quoi).
En face de la maison, de l'autre côté du chemin, là où commencent les polders, poussent de joyeuses turgescences jaunes.

René roule à vélo avec sa mie, direction mer. Le soleil brille bien et l'espoir rit au coeur. Lui, sur les épaules de qui repose le destin de l'Occident intellectuel, lui sifflote, il chantonne, il est bêtement heureux. Partis à vélo pour faire du yin-yang au bord de l'eau. Comme sa petite reine est belle ! Elle pédale comme une championne... Ses cheveux vont dans le vent plus blonds que les blés d'Orléans... Deux saphirs limpides vrillent le monde sous sa frange, transparents, cristallins, clartés azuréennes... Lui ? Un oeil charbonneux, ténébreux, terrible...

Autant les polders distillent un spleen insupportable lorsqu'il vente et verse, autant le pays se transforme en Gan Eden quand le soleil se décide d'y bivouaquer. Aujourd'hui la journée s'annonce imparablement belle. Aucun avion supersonique ne déchire le ciel. Ca y est, nos pieds nus touchent le sable chaud et, infatiguables, les mouettes déjà rasent à la queue leu leu l'enfilade de dunes. Le silence est là. Entends-tu chanter et chuchoter les nuages ma mie comme gazouille le poupon dans son berceau ?

- Oui René, je les entends qui fredonnent. Dis-moi mon poète, dis-moi René, où es-tu né ?

- A La Haye, dans un beau pays qui s'appelle la Touraine.

- Il y a un La Haye au Royaume de France, comme en Hollande ?

- Mais oui ma mie chérie, plusieurs même. Je suis né au bord de la Creuse, près de Tours, la ville de Saint Martin.

- On y va ?

- ...On y va. Nous traverserons les Flandres et nous nous arrêterons pour écouter ce que veulent bien nous raconter leurs carillons. Ensuite nous passerons à Dunkerque, nous y prendrons le voilier. En chemin vers l'embouchure de la Loire nous passerons dans le Golfe du Morbihan et nous irons toucher de nos mains les spirales de l'île de Gavrini.

- ...Les spirales de l'île de Gavrini ?

- Des entailles symboliques dans des pierres colossales, laissées par un peuple d'avant le père Noé, d'avant les Druides. Elles dévoilent, racontent, enseignent, disent en silence ce qu'il ne faut jamais oublier ni ici-bas ni là-haut. C'est à l'état pur. Pas besoin de mots.

- Metafysicamente pura ?

- Metafysicamente pura.

- ...C'est prometteur mon René. Nous y serons. Et après mon amour ?

- Nous remonterons la Loire, et via la Vienne et la Creuse nous finirons bien par amarrer chez moi.

- ...Masse-moi donc le dos mon fou, masse-moi la nuque Monsieur le french lover, caresse mes cuisses, mords-moi les fesses, embrasse-moi idiot !"

Dans le sable, les deux vélos. La Francinette ne va pas tarder à naître. Il y a une bouteille de vin dans le sac à dos, et un bon morceau de Gouda, des oeufs et du pain frais, des raisins et des croquignolles, des cigarillos. C'est bombance. Les pins au loin envoyent leurs effluves. René sourit, sourit très fort. Le sort du monde peut bien un peu attendre. Au loin s'envolent des cigognes...

MN
*appelée aussi entre connaisseurs "le carcan cartésien" ou "philosophie belge" en raison de ses prémisses absurdes ; Descartes écarte, disjoint, sépare, équarrit, met en morceaux ; écarter c'est "mettre plusieurs parties d'une chose à quelque distance les unes des autres" et c'est exactement ce qu'il fait dans son oeuvre, scrupule patronymique oblige...
**en hommage au sol natal ?

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