Tuesday, November 28, 2006

Rimbaud van Gogh : frères jumeaux

Deux vies mystérieusement similaires - seize mois séparent leur naissance. Même haine précoce de la famille, besoin d'évasion, radicalisme comportemental, errances, saisons en enfer, mutilation, amputation, trépas au même âge, quelques années après le franchissement de la (terrible) barrière des trentre-trois ans. Tous deux ont des yeux bleus, ceux de Vincent bleu-vert, pur azur pour Arthur.
Chaise dessinée par v. Gogh

Arthur Rimbaud à 18 ans à Londres
dessiné par Félix Régamey

Qu'est-ce qui pousse "l'infernal époux", un jour de pluie et de vent, au cours d'une fuite aux Pays-Bas, à signer à Harderwijk, triste petite ville de garnison au bord du Zuyderzee, un engagement de six ans dans l'armée coloniale néerlandaise ? Pour suivre les traces de son père, capitaine d'infanterie ? Mais non. Le carolomacérien adolescent a froid dans ces polders humides et rêve de voir les papillons voler librement dans les Iles de la Sonde - avant qu'ils ne soient eux-aussi domestiqués, dans le troupeau. Marre de la vieille flache Europe ! Marre de l'absence d'esprit qui précipite tout et chacun vers la mort en chantant, marre des boucheries humaines dont il a été le témoin direct...
Un bateau ivre le conduit à l'île de Java, à Batavia. ...Hourra ! Hourra ! Batavia ! * Il y reste quelques semaines, le temps de comprendre qu'ici aussi, la pompe européenne avale, aspire, règne, divise et amasse. Jamais assez libre dans sa tête, les semelles jamais assez ailées au vent, le jeune homme déserte. Il finira par trouver son Eden à Aden. Jean Nicolas Arthur avait bien senti : Aden = Eden = Adonaï = Adam = Madame = Eden, la boucle est bouclée. Il peut trépasser à Marseille : Mer + Soleil = MarSeille... C'est bien "la mer mêlée au soleil"...
Le poète a toujours raison.
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Pour Vincent Guillaume van Gogh la situation est similaire. Déjà au berceau, ourson tiré de la glaise des polders, il naît la tête derrière les étoiles, l'oeil fixé sur l'éternité, dont il a le sens infaillible.
Le Brabançon buté se trouve sur les grands boulevards à Paris et depuis qu'il y déambule quelque chose s'est détendu en lui, pour la première fois de sa vie quelque chose dans sa tête a souri. La Seine a fluidifié son esprit, dilué sa bile, l'affreuse mélancolie, trou noir qui l'aspire vers le bas, le suce moins. Il existe donc une sortie ? Mais oui, enfin les étoiles lui chuchotent leur secret.

Une éclaircie. L'esprit souffle à tue-tête, une intense clarté tombe des cieux obscurs, dans la nuit parfumée, si parisienne... vibrante... excitante... Les passants sous les ponts ne remarquent rien. Vincent Guillaume vient de trouver une issue, le voilà qui fuse vers le ciel.

Il ira plus au sud, vers le grand Midi, ...qui l'attend. Ca y est, Vincent est parti dans l'infini. Comme son alter-ego en poésie, évadé lui aussi, en route vers l'éternité. Entre Londres, Paris et Marseille ces deux-là auraient pu se croiser dans un wagon, sur le rail européen.

"C'est dans le soleil que naît l'éveil " se dit Vincent, en sortant du café. Il est ivre, mais ivre ! Mais non, pas d'absinthe... Il esquisse quelques pas - heureusement il peut s'appuyer contre un révèrbère tant le vertige l'envahit. Tant de liesse coule subitement dans son coeur glacé
!

Alors ces deux-là brûlent leurs vaisseaux, pas de calcul, pas de triche, aucune mesquinerie.
Qui leur jetterait la pierre ? Les jaloux oui, les impuissants, les frustrés - mais ceux-là n'entrent pas dans la fraternité de l'Eden et resteront dehors, dans les ténèbres extérieures.

MN
* lire "Manuscrit trouvé dans une bouteille" d'E.A. Poe et sa description du vaisseau fantôme du Hollandais volant
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